Quand on lui a appris qu'un premier petit-enfant verrait le jour, ma mamie a spontanément répondu: «Ben non, je suis bien trop jeune pour être grand-mère!». Elle m'a raconté, plus tard, que c'est en me voyant pour la première fois, qu'elle a compris l'ampleur de l'amour qu'elle porterait à ses petits-enfants. Elle réalisait, en nous rencontrant en chair et en os, qu'il y avait «un petit peu d'elle, en chacun de nous». Et elle n'a jamais si bien dit.
Combien de fois, avons-nous entendus «ça, tu tiens ça de ta grand-mère!». Et je ne fais pas référence à l'épaisse chevelure de ma petite sœur, ni aux beaux yeux bleus de mes cousins, mais bien de sa magnifique personnalité aux milles couleurs et aux milles contrastes.
Notre mamie nous a légué de nombreuses connaissances. Elle nous a transmis une passion pour la lecture, l'écriture, et nous a encouragé à travers nos parcours scolaires. Elle a corrigé et louangé nos travaux. Elle a buché autant que nous, afin que nous apprenions sur le bout de nos doigts, nos règles de grammaire. Elle nous a encouragé à nous éveiller intellectuellement, à approfondir nos réflexions et à donner le meilleur de nous-mêmes dans tout ce que nous entreprenions. Elle nous a transmis, à ma sœur et moi, la flamme pour la relation d'aide.
Ce que je retiendrai le plus de ma mamie, c'est la façon dont elle arrivait à conjuguer d'une manière incroyablement harmonieuse, une bonté sans limites à une grande force de caractère. À l'hôpital, une infirmière lui a demandé à la blague si son deuxième nom c'était Germaine. Ma grand-mère et moi nous sommes regardées, avons pouffé de rire, et avons répondu: Oui.
Elle nous a appris qu'il était possible d'être fort et doux à la fois. Elle nous a transmis, dans tout sa spontanéité, sa transparence et son authenticité, qu'il était possible de faire preuve de détermination, de s'affirmer avec conviction, tout en faisant preuve de compassion, d'empathie et de générosité.
Elle a dédié sa vie à soigner les souffrants, à prendre soin des plus vulnérables et à aider les âmes fatiguées à reprendre contrôle de leur vie. Ce don de soi ne s'arrêtait pas à sa profession. Tous ceux qui l'ont côtoyé ont bénéficié de sa chaleureuse écoute et sa grande ouverture.
Ma grand-mère savait comment apaiser tous les tourments. Une doudou fraichement sortie de la sécheuse (toujours imprégnée de l'odeur des 3-4 feuilles d'assouplisseur qu'elle y ajoutait, juste pour le parfum), un petit jus en boîte, une lumière tamisée, une bougie, un feu de foyer et une jase aussi longue que nécessaire.
Elle savait écouter et conseiller avec sagesse et humour. Mais elle n'avait pas besoin de parler. Elle avait dans le regard une douceur profonde, qui à elle seule pouvait atténuer toutes les peines. Elle avait un toucher empreint d'une chaleur qui aurait pu réchauffer n'importe quel cœur brisé.
Elle savait consoler, mais elle savait aussi s'amuser. Elle nous a aussi appris, à travers ses petites folies, que la vie, ça se vit dans la simplicité. Même si elle savait nous recevoir chez elle comme des princes, elle savait, que la vie, ça se vit à la bonne franquette. Que ça se vit dans le moment présent, dans le rire et dans l'appréciation des petits bonheurs du quotidien. Elle savait que le bonheur, ça se trouvait aussi dans les mots croisés du matin, dans une tasse d'eau chaude citronnée, dans le crépitement d'un feu de foyer, dans le soleil chaud du printemps, ou dans une bonne blanche de Chambly sirotée sur le perron du chalet. Elle nous a aussi appris qu'on a bien plus de fun quand on ne se prend pas trop au sérieux, que ça vaut la peine de lâcher prise, et de savoir rire de soi de temps à autres. J'ai vu ma mamie vieillir en beauté et mourir avec dignité. Je l'ai vu garder son cœur d'enfant, sa vivacité d'esprit et son sens de l'humour, même dans la maladie.
J'ai eu le privilège de partager avec elle de beaux et précieux moments, même si parfois difficiles, jusqu'à la toute fin. Je tiens à souligner combien elle fut un exemple de courage, de résilience et d'humanité jusqu'à son dernier souffle. Fidèle à elle-même, elle priorisait le bien-être des autres, au détriment même parfois de son propre confort. Elle hésitait à «déranger» les infirmières, faisait le maximum pour nous préserver de sa souffrance, s'excusait de «gâcher nos vacances», et nous demandait de lui faire mille et une promesses qui avaient toutes pour objectif de prendre soin les uns des autres. Elle donnait de petits noms doux au personnel hospitalier: «mes petits anges», «mes petits rayons de soleil». Elle remerciait sans cesse tous ceux qui lui accordaient soins, temps et support, même lorsque son souffle était si court, que les mots était à peine audibles. C'est nous, mamie, qui te disons aujourd'hui, merci. Merci d'être demeuré forte et douce. Calme et spontanée. Humaine et authentique. Merci d'avoir été un tel exemple de courage pour nous tous.
Merci, également pour ta présence, tes encouragements et ton soutien, à travers les diverses étapes de nos vies. Merci d'avoir contribué à notre épanouissement, de nous avoir fait grandir et de nous avoir aidé à cheminer dans ce grand défi de l'estime de soi. Merci, de nous avoir témoigné avec autant d'amour et d'affection, de la fierté que tu ressentais pour nous.
Aujourd'hui, je tiens à te dire, mamie, que c'est grâce au temps que tu as consacré pour nous, que nous sommes devenues les quatre petites roses épanouies que nous sommes. Lorsque je nous regarde, je réalise moi aussi, qu'il y a effectivement un peu, beaucoup même, de toi en chacun de nous. Je vois, en David, Frédéric, Émy et moi, un peu de toutes ces petites choses qui ont fait de toi une personne aussi exceptionnelle. Nous pourrons honorer et garder ta mémoire vivante, tout au long de nos vies, grâce aux belles valeurs que tu nous as transmises au cours de la tienne.
Au nom de tes quatre petits-enfants, je tiens à te remercier, mamie, d'avoir été la mamie aimante, accueillante, disponible et inspirante que tu as été.
Je tenais à terminer cet hommage sur le plus bel enseignement qu'elle nous a transmis, selon moi. C'est une citation tirée du livre du Petit Prince, une phrase que j'ai toujours trouvée très jolie, mais qui jamais, n'avait pris autant de sens à mes yeux. J'espère qu'elle en aura maintenant autant pour vous : «On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux».